Surveillée et punie

Spectacle choral exutoire

2024-11-14 20:00 2024-11-16 23:00 60 Canada/Eastern 🎟 CNA : Surveillée et punie

https://nac-cna.ca/fr/event/35992

Événement en personne

Ce puissant spectacle est entièrement conçu à partir des commentaires haineux qui ne cessent de déferler à l’endroit de la chanteuse folk Safia Nolin. Dans le miroir n’apparaît pas que la figure d’une inspirante artiste qui assume son identité, s’y trace aussi le terrifiant reflet d’une laideur collective sans nom.   Depuis son entrée dans le monde de la musique, Safia Nolin est victime à...

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Studio Azrieli ,1 rue Elgin,Ottawa,Canada
14 - 16 nov 2024
14 - 16 nov 2024

≈  90 minutes · Sans entracte

Dernière mise à jour: 14 novembre 2024

Les origines du projet

Mot du metteur en scène

Avant de choisir la figure de Safia Nolin, le projet était destiné à explorer un tout autre matériau. Avec Anne-Marie Voisard, anciennement responsable des affaires juridiques chez Écosociété, également doctorante en études sociologiques et politiques, et Emmanuelle Sirois, doctorante en études et pratiques des arts, nous avions d’abord travaillé en laboratoire sur les questions de censure et de liberté d’expression ayant pour objet une série d’entrevues menée par Voisard pour le compte de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. Dans cette série d’entretiens, des éditeur·trice·s de partout dans le monde relatent leurs expériences difficiles avec les pouvoirs politiques et les régimes totalitaires. Nous y découvrions que, encore aujourd’hui, le livre est un objet de persécution et qu’il se trafique clandestinement des milliers d’ouvrages.

Cette importante recherche ne nous a pas permis d’y trouver une matière théâtrale convaincante. De plus, nous étions particulièrement préoccupé·e·s par notre propre légitimité, par les mécanismes d’appropriation des récits provenant des éditeur·trice·s et surtout provenant de réalités qui sont méconnues de notre part. Certaines questions entourant la sécurité des personnes interviewées devaient également être prises en considération.

Toutefois, cette riche matière nous a permis de regarder sous un autre angle le climat social qui prévaut ici même. Les questions de censure sont bel et bien actives et sont enracinées dans plusieurs de nos mécanismes sociaux et comportementaux. Il peut s’agir de censure économique comme ce qu’a vécu Anne-Marie Voisard durant l’affaire Noir Canada, mais l’altérité est incontestablement le carburant d’une censure haineuse.

Lorsque j’ai mis en scène Safia Nolin aux Francos de Montréal, elle m’a partagé des extraits provenant d’une radio-poubelle de Québec. On y fait jouer des compositions de Safia sur lesquelles on ouvre les lignes afin que les auditeur·trice·s appellent pour l’insulter. Les propos vont jusqu’à l’appel au suicide, et ce, sans modération de la part des animateur·trice·s. Lors du spectacle sur la Place des Festivals, nous avons diffusé cet extrait devant des milliers de spectateur·trice·s. La puissance de la réaction du public, stupéfait par l’ampleur des propos, ne m’a pas quitté depuis. Dès lors, j’ai compris que Safia était le vecteur d’une violence omniprésente et multiforme. Il ne m’était plus possible de détourner le regard de ce constat, cela deviendrait mon sujet.

Depuis, elle a été victime de nombreux évènements haineux. Devant ce déferlement, elle a pris la décision de s’absenter momentanément de l’espace public en vivant en France pendant plusieurs mois. La censure collective a eu raison.

Pourtant, la place de Safia est sur scène, avec toute la beauté qu’elle est en mesure de générer.

D’un point de vue plus personnel, avec ce projet, je veux briser le cycle de la haine. Celle qui prend racine dans mon adolescence, celle que l’on pourrait qualifier d’ordinaire. Insultes, agressions physiques, exclusion au quotidien. Le lot d’un corps frêle dont la masculinité tarde à éclore. Un prix doux si je compare à d’autres histoires nettement plus violentes, mais qui alimentent néanmoins un désir de réparation.

Entretien avec Safia Nolin et Philippe Cyr

Cet entretien a été réalisé par le Festival TransAmériques (FTA) à l’occasion de la création du spectacle (du 30 mai au 1er juin 2024).

En juin 2019, aux Francofolies de Montréal, vous décidez d’ouvrir le spectacle sur lequel vous collaborez en diffusant l’enregistrement d’un extrait radiophonique où l’on entend des propos extrêmement haineux à votre égard, Safia. Pourquoi avoir décidé de diffuser cet extrait et quelle a été la réaction du public?

Safia Nolin : Je pense que ça venait d’un désir de me réapproprier le narratif et de reprendre le pouvoir. Beaucoup de gens ne savent même pas que ce type de discours existe. Je voulais que tout le monde puisse entendre jusqu’où ça allait. Ça a été un moment étrange, silencieux et très puissant aussi. J’avais enfin le sentiment de prendre position publiquement, concrètement, pas seulement à travers les réseaux sociaux, mais dans un espace dédié à la musique.

Philippe Cyr : L’idée de rendre concrète la violence dirigée contre Safia est à la source du présent projet. Entendre ces propos avec elle, en compagnie de dizaines de milliers de personnes, ça installe un rapport très différent que de les lire sur son ordinateur. C’était saisissant de capter le malaise de la foule et de sentir l’indignation naissante.

Selon vous, Safia, pourquoi êtes-vous l’objet d’une haine aussi puissante?

Safia Nolin : Apparemment, il y a quelque chose dans mon histoire, dans ma vie, qui fait que je présente absolument toutes les caractéristiques qui confrontent les gens. Je représente le changement, la différence. J’ai aussi l’impression que j’aurais très bien pu être ce que je suis, mais ne pas l’affirmer aussi librement et alors, ça n’aurait pas autant choqué. Je pense que c’est le fait que je ne m’excuse pas d’être qui je suis qui est le plus dérangeant.

Philippe Cyr : On est dans une période où toutes les questions d’identité, de redéfinition des genres et d’appartenance sont très vivantes. Aujourd’hui, l’identité de Safia semble constituer un appel à la révolution, au corps de demain, à la personne de demain. C’est comme si sa personne faisait peur à toute une catégorie de gens parce que sa manière d’être au monde remet en question un mode de vie, un mode de pensée, l’ordre établi finalement.

Votre spectacle s’inspire du titre d’un ouvrage du philosophe français Michel Foucault où il s’intéresse aux mécanismes de surveillance et de punition de la prison et, plus largement, à ceux des sociétés occidentales contemporaines. Comment dialoguez-vous avec sa pensée?

Philippe Cyr : Dans son analyse, Foucault soutient que le panoptique, en permettant une surveillance continue des individus, constitue le moyen idéal pour contraindre les corps. Nous émettons l’hypothèse que les réseaux sociaux peuvent également agir comme outil de contrainte. Dans le panoptique, on imagine un demi-cercle de prisonnier·ère·s qui fait face à une surveillance au centre. Ici, c’est un groupe d’abonné·e·s des réseaux sociaux, le chœur, qui est tout entier dirigé vers une personne. À force de commenter tous les aspects de l’identité de Safia, il y a une censure qui s’opère. Nous avons trouvé que la transposition était extrêmement efficace.

En mettant dans la bouche d’un véritable chœur les insultes adressées à Safia sur les réseaux sociaux, notre geste est double : on veut à la fois conscientiser le public à la gravité de la situation et se réapproprier les mots pour les sublimer. Malgré l’agressivité véhiculée dans ces paroles, le chœur ne sera pas seulement ennemi. Il représente aussi une communauté qui se crée autour de Safia. La présence de la comédienne Debbie Lynch-White, qui agit en quelque sorte comme son alter ego, vient installer une sororité qui accentue cet effet. C’est un procédé assez surprenant, réparateur, qui survient grâce à la musique.

Aux côtés de Safia à la musique, on retrouve le musicien, concepteur sonore et arrangeur Vincent Legault (Dear Criminals, Pierre Lapointe, Salomé Leclerc). Comment s’organise cette collaboration?

Philippe Cyr : Vincent Legault compose la musique des chœurs sur un livret de Jean-Philippe Baril Guérard. C’est un moyen que nous avons trouvé pour que Safia ne soit pas amenée à composer de la musique sur des propos hostiles qui lui sont adressés. De son côté, Safia va en quelque sorte répondre à cette violence par ses propres compositions. Reprendre la parole, ça ne veut pas dire nécessairement réagir directement à la méchanceté, mais peut-être simplement choisir ce qu’on raconte, ce dont on veut parler.

Safia Nolin : C’est une expérience vraiment intéressante et qui me permet de réunir deux pôles de ma vie qui sont toujours mis en opposition, à tout le moins aux yeux du public. J’ai souvent l’impression que la personne qui reçoit toute cette marde, c’est moi, et non pas l’artiste en moi. Je reçois moins de critiques au sujet de mon travail, celles et ceux qui m’insultent me parlent davantage de mon physique, de ma personne, pas de ma musique. Alors d’utiliser mon métier comme arme face à cette violence, je crois que c’est très salvateur.

Intentions

Transmettre / conscientiser / matérialiser / transcender / sublimer

Pour saisir la signification de la haine, il faut la comprendre dans notre chair. Nous pouvons la théoriser, l’intellectualiser, mais l’expérience de la sensation est irremplaçable.

Il faut transmettre l’ampleur des propos et des actions visant Safia. Ce faisant, on prend conscience de l’importance de ce qui est dit, de la réelle violence, au-delà de ce que nous connaissons d’une manière superficielle. Cela nous force à conscientiser une strate de la pensée collective qui se cache sous quelques couches de vernis.

Nous pourrions dire que la scène permet de matérialiser les paroles, de comprendre la nature réelle des propos soi-disant virtuels. L’espace public que sont les réseaux sociaux est transposé sur scène et permet ainsi un rapport concret. Il engendre une friction éclairante. Les corps, émetteurs de ces propos, deviennent des supports familiers où un processus d’identification et de reconnaissance est possible.

La scène exige de dépasser le réel, elle appelle à transcender la matière pour lui donner une forme spécifique. C’est dans cette qualité de transcendance que la théâtralité advient. C’est dans ce mouvement que l’on peut imaginer produire plutôt que de reproduire.

Il s’agit en quelque sorte de sublimer la haine pour générer une réponse puissante et briser sa reconduction. C’est surtout permettre une réponse à Safia. En lui donnant le temps, le choix des mots, la scène, c’est donner la place à une réappropriation de l’espace public selon ses propres paramètres, ses propres moyens.

C’est-à-dire avec son arme principale, la musique.

Le livret

Création entièrement musicale, le livret est composé de textes provenant du réel, c’est-à-dire de messages privés reçus par Safia ou encore de recherches faites sur le web dans les sections commentaires des différents médias en ligne. L’autre partie des paroles est inspirée du réel sans pour autant être exclusivement véridique. Les paroles puisent dans les thématiques soulevées par la vie publique de Safia : grossophobie, arabophobie, homophobie, appel au suicide, évocation de la mort et harcèlement.

En réponse, Safia offre de toutes nouvelles compositions musicales. À noter que Safia Nolin a elle-même archivé une grande quantité de propos haineux la concernant, tant sur les réseaux sociaux que des photos, des graffitis, et des enregistrements provenant des radios. Nous avons également engagé une recherchiste qui a créé une banque de 25 000 mots à partir des commentaires sur différents sites web.

Ce texte est tiré du cahier dramaturgique conçu par le Prospero.

Le chœur de la haine

Pour les représentations au CNA, les chansons sont interprétées par un chœur composé de dix-sept choristes professionnel·le·s et amateur·e·s de la région d’Ottawa-Gatineau et de quatre interprètes de Montréal. Le recrutement et les répétitions ont été assurés par Robert Filion.

Artistes

  •  jean-philippe baril guerard
    Livret Jean-Philippe Baril Guérard
  • Livret et interprétation Safia Nolin
  • Interprétation Debbie Lynch-White
  • Mise en scène Philippe Cyr

Crédits

Livret
Safia Nolin et Jean-Philippe Baril Guérard

Musique
Safia Nolin et Vincent Legault

Mise en scène
Philippe Cyr

Avec
Safia Nolin, Debbie Lynch-White et un chœur

Chœur
France Beauregard, Chantalyne Beausoleil, Maxime Bégin, Yves Carrière, Alexandre Charest, Cristine Cimon Fortier, Jeremy Close, Ryan Doyle Valdés, Myriam Dupuis, Dominique Germain, Céline Guindon, Walid Jeddou, Aude Lafrance, Jessy Lindsay, Kimberly Lynch, Christopher Mallory, Mihnea Nitu, Lily Polowin, Brigitte Soroka, Kelly Symons et Pascal Viens

Recrutement des choristes à Ottawa-Gatineau et répétitions du chœur
Robert Filion

Lumière
Cédric Delorme-Bouchard

Scénographie et costumes
Odile Gamache

Assistance à la scénographie et aux costumes
Pénélope Dulude-de Broin

Intégration vidéo
Zachary Noël-Ferland

Sonorisation
Benoit Bouchard

Régie son
Jules Potier

Régie lumière
Nine Desbaillet

Régie générale
Andrée-Anne Garneau et Sandy Caron

Conseils dramaturgiques
Mani Soleymanlou et Anne-Marie Voisard

Assistance à la mise en scène
Andrée-Anne Garneau

Musicien·ne·s et choristes à l’enregistrement
TJ Skinner (violon I), Yubin Kim (violon II), Amina Myriam Tébini (alto) et Pierre-Alain Bouvrette (violoncelle), Guillaume Martineau (claviers), Jonathan Arseneau (basse), José Major (batterie), Olivier Gauthier, Hélène Leduc, Benoît Legault, Dominique Legault, Camille Legault et Florent Legault (chœur)

Recrutement à Montréal
John Giffen et le Chœur de Montréal

Recherche
Ariane Thibault-Vanasse

Direction de production
Catherine Comeau

Assistance à la production
Alec Arsenault

Direction technique
Michel St-Amand

Production
Prospero

Coproduction
l’Homme allumette, Théâtre français du CNA et Les Plateaux Sauvages

En collaboration avec
le Théâtre du Trident

Développé avec le soutien du
Fonds national de création du CNA

Alliance internationale des employés de scène et de théâtre