≈ 1 hour and 45 minutes · No intermission
Last updated: November 10, 2022
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Key West, le 8 avril 2022
Ne pas terminer un projet – une pièce, un roman – me jette dans une angoisse insupportable. J’ai l’habitude de rendre mes projets à terme, quitte à les abandonner s’ils n’en valent pas la peine… mais complets. Ça ne m’est heureusement pas arrivé souvent. Ce fut cependant le cas il y a quelques années avec Cher Tchekhov. Parce que j’y décrivais une famille d’artistes, surtout des acteurs, je me suis mis à avoir peur, allez savoir pourquoi, que les acteurs, une engeance que pourtant j’adore, croient que je ne les aimais pas et que j’écrivais une pièce pour les critiquer! Et j’ai laissé Cher Tchekhov en plan au fond d’un tiroir.
J’ai repris le projet des années plus tard en en faisant un roman, Le cœur en bandoulière, dans lequel Jean-Marc, mon alter ego depuis plus de quarante ans, reprenait cette œuvre dans le but de la terminer.
C’est donc de ça que vous serez témoins aujourd’hui : un écrivain qui reprend un hommage à Tchekhov inachevé, ses hésitations, ses corrections, ses commentaires. Vous verrez une pièce s’écrire, prendre forme et, au grand soulagement de l’auteur, s’achever.
Bienvenue dans mon intimité.
Je fréquente Michel Tremblay depuis 40 ans. Je ne connais pas Michel personnellement depuis tout ce temps, mais je fréquente son œuvre depuis que j’ai 10 ans. Cette œuvre, je l’aime, la chéris et lui dois beaucoup, car c’est grâce à elle que j’ai eu un immense coup de foudre pour ce qui deviendra ma passion : le théâtre.
Avec sa nouvelle création, Michel Tremblay nous fait une offre inusitée. Il ne nous parle plus de ses voisines d’enfance, ni de Nana, ni de la faune bigarrée de « la Main ». Il nous propose plutôt d’entrer, avec lui, dans les affres de l’écriture d’une œuvre théâtrale. Faire un voyage dans la tête de l’auteur et partager ses doutes, ses joies, ses ratés, ses fulgurances et ses pannes d’inspiration. Jamais Michel Tremblay n’a parlé ainsi de son processus de création, de ses blessures et jamais il n’a donné un accès aussi privilégié à ce qu’il a de plus essentiel. Sa plume.
C’est un immense privilège pour moi d’accompagner Michel dans ce travail de création. De traquer ses pensées, ses envies, ses mots. De mettre en scène sa voix et de vous la faire entendre.
Créer la pièce d’un auteur admiré est une grande responsabilité et je veux remercier toute l’équipe d’artistes : acteurs et actrices, concepteurs et conceptrices… Tous ceux et celles qui ont fait le chemin avec moi et qui ont calmé mes doutes et mes peurs. Car les chemins de la création sont tortueux et impénétrables. Semés d’embuches et de pièges.
Mais après tout, qui a promis que cela serait facile…?
par Michelle Chanonat
Dans l’avant-dernier roman de Michel Tremblay, Le cœur en bandoulière, figure également une pièce de théâtre, Cher Tchekhov, qui met en scène une famille d’artistes. Au-delà des secrets, mensonges et autres trahisons de la fratrie, la voix du narrateur livre une réflexion libre, à la fois grave et légère, drôle et profonde sur le milieu du théâtre, la critique, le vieillissement…
Du roman à la pièce
Troisième volume de la trilogie du cœur, avec Le cœur découvert (1986) et Le cœur éclaté (1993), Le cœur en bandoulière, paru en 2019, est un roman « hybride », à la fois journal intime, journal de création et pièce de théâtre.
À Key West pendant l’hiver, un peu désœuvré, l’auteur décide de reprendre un texte laissé de côté quelques années auparavant, « une espèce d’hommage à Tchekhov », avec le projet de le corriger, de le « réparer », pour tenter d’en faire quelque chose… ou le remettre dans le tiroir.
Dans le roman, l’auteur annote son travail, réécrit des répliques, les redistribue. Tout cela dans des nota bene, comme des apartés, des clins d’œil créant une réelle complicité avec le lecteur qui devient le témoin privilégié du processus de création.
Pour l’adaptation théâtrale, Michel Tremblay a placé les notes du roman dans la bouche de son personnage alter ego Jean-Marc, également narrateur, que l’on connaît bien pour l’avoir déjà rencontré dans les Chroniques du Plateau et dans quelques œuvres dramatiques : disons que c’est le « double officiel » de l’auteur.
Le procédé, qui consiste à faire figurer le narrateur, n’est pas étranger à Tremblay. Dans Encore une fois, si vous permettez, le personnage de Jean-Marc représente l’auteur à trois âges différents de la vie, en dialogue avec sa mère, la célèbre et truculente Nana. Dans Cher Tchekhov, la mise en abyme est double, Tremblay ayant créé un personnage de dramaturge, en proie aux mêmes angoisses existentielles que le narrateur, révélant du coup ses propres anxiétés.
La crainte d’être dépassé
Auteur de romans, de pièces de théâtre, de traductions, d’adaptations, de scénarios, au total plus d’une centaine d’œuvres traduites dans quarante langues, Michel Tremblay a créé un univers peuplé de personnages qui font des allers et retours entre littérature et théâtre. C’est parce que les rendez-vous avec les mêmes personnages se multiplient qu’ils nous sont devenus si familiers, si intimes. Comme si on retrouvait des amis, sous des éclairages différents, complémentaires.
Dans Cher Tchekhov, Tremblay met en scène, pour la première fois, une famille d’artistes dont le jeune frère et les trois sœurs font carrière au théâtre : « après tout, y fallait bien qu’y’ait trois sœurs », écrit malicieusement Tremblay. Benoit, le frère aîné, âgé d’une soixantaine d’années, est un auteur en quête d’inspiration. On comprend que sa dernière pièce n’a pas eu un grand succès et certains critiques l’ont même traité de has been. Rongé par le doute, il a cessé d’écrire. Si Claire, la « grande actrice » tchekhovienne, partage cette angoisse de vieillir, elle l’exprime différemment, en prenant le risque de rejoindre une jeune équipe d’un théâtre expérimental qui vient de déconstruire La mouette de Tchekhov sous la houlette d’un metteur en scène impertinent.
Tremblay, par la voix de Benoit, s’amuse à rejouer la querelle entre l’ancien et le moderne, en livrant une réflexion acide et lucide sur l’évolution du théâtre et du jeu. L’outrecuidance qu’il reproche à Christian, le critique, est son arme favorite quand il s’agit de descendre en flammes l’interprétation de Claire en Arkadina : « On ne joue plus Tchekhov de cette façon. » Le narrateur, à quelques reprises, pondère les propos de Benoit non sans une bonne dose d’humour réflexif : « Est-ce trop mélo? Juste la frustration d’un vieux qui sent la fin de son talent venue? » La colère et les sarcasmes de Benoit masquent mal l’immensité de son désarroi, lui qui se sent dépassé par les plus jeunes, qui les admire parce qu’ils font du théâtre comme il n’aurait jamais pensé le faire. Comment se renouveler sans se trahir?
Autoportrait d’un auteur au crépuscule de sa vie
La pièce est traversée par les inquiétudes de l’auteur, ses doutes sur la qualité et la pertinence de sa création, le sentiment terrible qui le taraude de ne plus avoir sa place ni son mot à dire, de ne vivre que sur sa gloire passée. Tous les artistes vieillissants connaissent cette angoisse, celle de l’œuvre de trop. Celle qui fera dire qu’ils se répètent ou, pire, qu’ils se caricaturent. Ce que reproche Benoit à Christian, qui l’a, dans un article vieux de 4 ans, poussé vers la sortie. La peur d’être périmé, « passé date » ou, comme le disait plus joliment Romain Gary en reprenant une consigne du métro parisien : « Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable. » L’auteur attend de l’écriture une catharsis et le constat est terrible : « Écrivons la phrase, écrivons-la : je me sens dépassé. Point à la ligne. »
Au moment de la parution du Cœur en bandoulière, Michel Tremblay déclarait : « Mes deux héros, c’est Verdi et Julien Green. Verdi a composé ses deux plus grands chefs-d’œuvre à 78 et 80 ans. Julien Green a écrit son dernier triptyque entre 89 et 91 ans. C’est mon but, je vise Julien Green (rire). Est-ce que la source va durer jusque-là? Je ne sais pas. » (Entretien avec Nathalie Collard, La Presse, 10 novembre 2019)
À lire et à écouter ce que Michel Tremblay a encore à nous dire, on ne peut que se réjouir des belles années de lecture et de théâtre qui s’en viennent.
Ce texte est paru dans le dossier de Cher Tchekhov réalisé par Michelle Chanonat et publié par le Théâtre du Nouveau Monde à l’occasion de la création du spectacle en mai 2022.
JEAN-MARC. Le travail que j’ai entrepris depuis quelques jours me passionne, mais est-ce que ça va intéresser quelqu’un? Est-ce que j’fais tout ça juste pour moi, juste à cause de mon orgueil, parce que cet échec-là me barbouillait le cœur depuis des années et qu’en tentant de le corriger j’espère tout mettre ça derrière moi? L’oublier une fois pour toutes? Est-ce que ça va ennuyer mes lecteurs qui se foutent peut-être de comment naît une pièce ou un roman? J’espère bien que non. J’aime cette pièce inachevée, si différente de tout ce que j’ai fait auparavant, et j’me sens aujourd’hui la force d’affronter les scènes qui m’avaient fait peur, à l’époque – la confrontation entre l’écrivain et le critique, sa découverte qu’il commence à être dépassé par un théâtre plus moderne et surtout plus jeune que le sien, l’impression que sa sœur le trahit parce qu’elle change de camp. Et de rendre ainsi la pièce jouable.
Mais pourquoi tout mettre ça dans un hommage à Tchekhov?
La pièce Cher Tchekhov est publiée chez Leméac Éditeur, dans la collection « Théâtre » (2022).
An imaginative and prolific author, Michel Tremblay has been writing plays, novels, song lyrics and librettos for over 60 years. His affection for his mother and aunts, cabaret performers, prostitutes, transvestites and the disenfranchised runs through all his work, and has spawned an ensemble of tragicomic characters who intertwine in a microcosm that the author continues to explore today. Rooted in Quebec society, using joual since the late 1960s and translated into some 30 languages, his theatrical work features choruses, songs, apparitions and doubling that distance him from realism. He has translated and adapted the works of several foreign authors, particularly Americans. A stage adaptation by Tremblay and André Brassard of Aristophanes’ Lysistrata was the very first French-language play presented at the NAC when it opened in June 1969. The world premieres of his plays Bonjour, là, bonjour (1974) and Albertine, en cinq temps (1984) were also presented by NAC French Theatre.
With more than 80 productions to his credit, Serge Denoncourt delves enthusiastically and with great intelligence into both classic and contemporary works, revealing their multiple layers, their mechanics, their dramatic motivations, their ethical conflicts. Skilfully interweaving myriad theatrical conventions, his shows are solidly rooted architectural works that yield multiple reflections of our world. A notoriously adept director of actors, he has brought many of Michel Marc Bouchard’s plays to the stage. At the Théâtre de l’Opsis, which focuses on reinterpreting classics of the international repertoire as well as works by contemporary foreign authors, he has orchestrated three plays in the “Chekhov Cycle”: his own creation, Je suis une mouette (non ce n’est pas ça), based on Chekhov’s The Seagull; La cerisaie (The Cherry Orchard); and Oncle (Vania) (Uncle [Vanya]), a reworking by UK playwright Howard Barker.
International Alliance of Theatrical Stage Employees